Marie-Lou : Nous avons entendu que vous aviez beaucoup travaillé sur le langage, quel serait votre rapport à l’oulipo et au surréalisme?
Bénédicte H. : J’en ai beaucoup lu à une époque mais ce n’est pas pour ça sue je m’en suis inspiré pour mon travail, en tout cas ce n’est pas conscient.
Marie-Lou : Pendant la conférence,vous avez souvent utilisé les mots « extase », « éclatement », on y voit un certain mouvement vers l’extérieur, est-ce qu’il vous arrive de faire l’inverse, plutôt un mouvement vers l’intérieur?
Bénédicte H. : C’est un mouvement centrifuge, si l’écriture me ramène à mes propres fermetures, c’est un échec total. J’essaie de faire éclater les barrières, de rendre les choses les plus pulsatiles possible, d’aller au delà de ce qui nous arrête. Si je m’aperçois que je suis en train de me répéter ou que je suis captive de mécanismes répétitifs, je m’arrête.
Marie-Lou : Tout ça me fait penser à la danse, est-ce que c’est quelque chose que vous pratiquez?
Bénédicte H. : Je suis une piètre danseuse mais je suis complètement fasciné par les danseurs, par le rapport au corps qui allie à la fois la souffrance et l’extase, ils s’infligent des choses inouïes. En même temps, ils arrivent à un état de dépassement, ils vivent des moments de félicités dont on a pas idée. C’est quelque chose que j’essaie d’approcher à travers l’écrit parce que je ne sais pas danser.
Marie-Lou : Avez-vous pensé à un projet conjoint entre danse et écriture?
Bénédicte H. : C’est un univers que je fréquente peu. J’ai des ami·e·s peintres, dessinateurs, même des musiciens mais pas de danseurs. Si l’opportunité se présente, je serai ravie de le faire.
Marie-Lou : Toujours sur cette idée d’éclatement, quand vous commencez un livre, êtes-vous plus dans l’idée de partir de quelque chose ou plutôt de partir d’une page blanche qui ferait naître quelque chose?
Bénédicte H. : Au départ il y a la page blanche, puis des figures, des sensations me traversent et au fil des mots, les figures se mettent en place et quelque chose naît. Le langage donne corps au réel. Je n’ai pas d’idée préconçue, je peux avoir des images, des états ou des figures que j’ai envie de mettre en scène mais ce n’est pas précis, il n’y a pas de plan.
Marie-Lou : J’aimerai revenir sur l’enfance, pendant la conférence, vous nous avez donné votre vision de celle-ci, avez-vous envie de préserver cette pureté que peuvent avoir les enfants ou plutôt de l’exploiter, quitte à parfois la blesser?
Bénédicte H.: J’essaie de toucher le moins possible à l’humain parce que tout est mélangé. Chez les enfants, il y a aussi un sens aigu de la cruauté, du mal, je n’ai pas la prétention de l’extirper à moi toute seule. Je prends l’enfant dans son ensemble et j’essaie juste de l’aiguillonner à travers des questions ou des propositions pour faire surgir ça et de l’isoler du reste pour faire susciter quelque chose.
Marie-Lou : Diriez-vous qu’il y a une construction entre l’adulte et l’enfant ? Entre l’enfant qui peut avoir des raisonnements d’adultes et l’adulte qui a gardé son « âme d’enfant »
Bénédicte H. : Il y a des adultes qui ont su préserver l’enfance en eux et qui la cultive et qui ont parfois plus de pureté que des enfants qui ont déjà été abîmés par beaucoup de choses. Ça dépend des individus.
Marie-Lou : Qu’aimez-vous dans l’enseignement ?
Bénédicte H. : Ce que j’aime, c’est cette friction, on est tout le temps au corps à corps. C’est souvent dur avec les élèves que j’ai parce qu’ils sont très récalcitrants, ils sont parfois violents. C’est à chaque fois une bataille pour qu’ils restent calme, qu’ils se mettent à écrire, qu’ils consentent à lire. Au bout d’un moment, ils se rendent compte qu’ils ont quelque chose à extraire de ce que je leur propose, que ce n’est pas une punition, qu’ils sont parfois mis en valeur, que c’est un champ d’expression de liberté qui leur est ouvert. Cette année, j’ai une classe absolument épouvantable, ils peuvent être d’une vulgarité et d’une cruauté entre eux inouïe mais il y a quelque chose qui m’ébloui, au fil du temps, ils se sont pris de passion pour l’écriture et maintenant ils adorent écrire. Je me dis que j’ai réussi à ouvrir cette brèche en eux, ils se rendent compte que l’écriture peut être libératrice. Ils viennent même me réclamer du temps pour pouvoir présenter leurs textes, les lire devant la classe. C’est là que je me dis que ça vaut le coup.