
Mable caressait chaque poutre de la charpente et se tournait vers moi en me désignant du doigt, et sa voix éraillée tordait sa bouche. Et c’est comme ça qu’elle m’inquiétait et que je savais qu’elle pouvait dérailler complètement, à cheval sur sa colère qui sortait d’un seul coup. Et moi je la trouvais plus belle, comme ça, dans ces moments où ça éclatait enfin. Pas de cris plus audibles que ces cris-là. Et c’était elle qui avait raison. Et elle criait sur le bonheur comme il aurait fallu crier sur la nuit, comme il aurait fallu que je crie moi-même, sur tous les cauchemars, alors que moi, je ne disais jamais rien jusqu’au bout, jamais vraiment, juste des piques et après je partais. Mais il aurait fallu que je dise tous ces corps que je voyais dans mes nuits, épars dans les rêves et en allés, que je me mette vraiment en colère et en action comme elle. Contre mon fantôme abandonné quelque part, des enfants faisant la ronde autour de moi enfant, sourde, muette, impuissante, seule. Tous partis et moi laissée.
Frédérique Cosnier, Suzanne et l’influence, La clé à molette, 2016
Biographie
Enseignante-chercheuse à l’université de Franche-Comté (dans le Centre de Linguistique appliquée) et pratiquant, depuis plusieurs années, la lecture à voix haute, Frédérique Cosnier s’illustre également dans la rédaction de récits fictionnels et poétiques. Suzanne et l’influence, paru aux éditions de La clé à molette en 2016, a d’ailleurs remporté le Prix Marcel Aymé (en 2017), récompense décernée aux ouvrages de fictions littéraires et/ou poétiques en rapport avec la Franche-Comté.
Lire un roman de Frédérique Cosnier, c’est se plonger au cœur des mots, entrer dans la musicalité de la langue française pour mieux appréhender l’intime, le personnel, les pulsions qui se cachent et que l’on tente vainement de dissimuler. Furieusement loufoques mais profondément humains, l’autrice nous dévoile l’intériorité de ses personnages avec une précision méticuleuse. Mélangeant monologue intérieur et discours indirect libre, nous voyons se dessiner, au fil des pages, le croquis de ces personnages au caractère impulsif, émotif et, parfois, désemparé. Une esquisse qui tend à se singulariser pour finalement laisser transparaitre, sous la surface de la peu, toute la folie et da grandeur des aspérités caractérielles des personnages.
Bibliographie
- Suzanne et l’influence, La clé à molette, 2016
- Pacemaker, Editions du Rouergue, 2020
Retrouvez les ouvrages sur le click and collect de la librairie La Bruyère Vagabonde.
Articles annexes
- Frédérique Cosnier : textes, voix, musiques – site web de l’autrice
- Les Petites Fugues – présentation de Frédérique Cosnier sur la page web du festival Les Petites Fugues (vous retrouverez également un extrait de son livre Pacemaker)
- France Bleu – entretien avec Frédérique Cosnier pour son roman Pacemaker