Gila Lustiger


« Juive en Allemagne, allemande en Israël, étrangère en France, je suis consciente de mon ambivalence, mais j’aime cette gymnastique entre les cultures et les pays.« 

Gila Lustiger est née en Allemagne en 1963 et a vécu en Israël où elle étudié la littérature comparée et l’histoire de l’art à l’Université de Jérusalem. Elle vit à Paris depuis 1987. Elle écrit en allemand.

Dans la citation, mise en exergue, l’auteure parle de « gymnastique entre les cultures et les pays », il y en a dans les livres de cette femme, « née après le désastre » (« Nachgeborene » – comme on les appelle pudiquement en allemand [2]).

« Nous sommes » tourne ainsi autour du secret de famille, que la père a réussi à garder pendant 40 ans, en répondant même à sa fille que le tatouage sur son bras était un numéro de téléphone [3]. La narratrice découvre par hasard chez un bouquiniste un livre collectif, où le père livre le récit de son expérience des camps d’Ausschwitz et de Buchenwald. De là à poser directement la question au père, il reste un long chemin à parcourir.

En français sont disponibles : [1]

L'inventaire  (Grasset, 1998, titre original : Bestandsaufnahme)

Quel bonheur !  (Grasset, 2000, titre original : Aus einer schönen Welt)

Nous sommes (Stock, 2005, titre original : So sind wir)

Un bonheur insoupçonnable, (Stock, 2008, titre original : Herr Grinberg & co)
Regarder un entretien en allemand à l’occasion de la sortie de : Herr Grinberg & co.

Cette nuit-là (Stock, 2013, titre original : Woran denkst du jetzt ?)

Les Insatiables (Actes Sud, 2016, titre original : Die Schuld der Anderen)

« L’inventaire« , livre qui nous intéressera particulièrement lors des rencontres de cette année, est une tentative pour aborder le long et lent cheminement vers l’extermination à travers des micro-fictions, sorte de témoignages distants, sobres, ironiques, par moment grotesques des changements du quotidien des années trente, de l’éloignement progressif de toute une population décrétée indésirable, voire indigne de vivre parmi les autres, jusqu’à leur extermination.

Une sorte de bain à l’eau tiède qu’on chauffe petit à petit pour que personne ne se rende compte de l’objectif au bout : mettre en ébullition, éliminer, faire disparaître. Une tentative d’inventaire d’une histoire non-accidentelle tel un puzzle dont on trouve petit à petit toutes les pièces constituantes sans jamais pouvoir le terminer pour autant [4].

Le seul moment dans le livre, où apparaît le terme de l’inventaire, se trouve dans une histoire où une secrétaire tombe sur une liste d’objets ayant été la propriété de Juifs allemands qu’on a expropriés (et déportés – ou simplement dévalisés à l’entrée des camps – ce que la liste ne révèle pas). Sont énumérés minutieusement tous les effectifs, depuis le timbre postal jusqu’à l’or sous toutes ses formes [5].

Mais l’inventaire est ailleurs. En 35 chapitres, allant de 1935 à 1945, sont répertoriés les destins d’autant de personnes, qui reviennent toutes dans une sorte de finale, redistribuées selon deux catégories : gagnants et perdants. Ces personnes, bourreaux ou victimes, sortent de leur anonymat, tout en gardant leur banalité, qui pourrait être celle de tous les jours, s’il n’y avait pas derrière chaque destin ou bien sa contribution, ou bien son exposition à l’extermination.

Lors des rencontres d’écrivains « Bruits de langues », l’auteure lira en allemand quelques micro-histoires de ce livre . Des traductions seront fournies, puis d’autres lectures en français, assurées par Claude Favre.

Lieu : UFR des lettres et des langues, salle des actes

Date : mercredi 20 octobre 2010, 14 h.

[1] dont l’inventaire et Nous sommes – fr et al à la BU

[2] ce qui a poussé un ancien chancelier allemand à déclarer publiquement en 1984 de bénéficier d’une « grace de la naissance tardive »

[3] rapporté par Arno Lustiger dans son essai sur Gunter Grass, Vom Häuten der Zwiebel

[4] Un coup d’oeil sur l’actualité montre bien que cette histoire est loin d’être terminée, que par plein de méandres elle poursuit son travail, se trouve de nouveaux acteurs acharnés et aussi de nouvelles victimes faciles

[5] en kg, certainement pour ne pas dire que les dents en or en font partie